Ansoumane Kaba : un patron tout en rigueur

Créée en 1989, la Guinéenne de Terrassement routier (GUITER S. A.) va souffler en pleine forme dans quelques mois ses trente bougies. Retour sur le parcours et portrait d’Ansoumane Kaba, l’homme qui en trois décennies, a fait de cette entreprise, le leader national dans ses deux domaines d’activité, la construction des routes et le secteur minier.

Ansoumane Kaba, ne remerciera sans doute jamais assez Bana Sidibé le ministre des Travaux publics et de l’Urbanisme du Conseil national de redressement (CNR) , l’escouade de jeunes officiers de l’armée guinéenne qui a mis fin en 1984 aux 26 années du régime d’Ahmed Sékou Touré. La même année, après des études à l’Ecole nationale des arts et métiers(ENAM), il achève ses études à l’université Gamal Abdel Nasser de Conakry, couronnées par un diplôme d’ingénieur en génie civil.

Puis, il effectue comme tous les camarades de sa promotion, le service militaire obligatoire d’un an instauré par la junte militaire. « Certains parmi nous ont été retenus dans l’armée. Tandis que nous, nous avons été reversés dans la vie civile. Il nous fallait donc chercher du travail », se souvient-il. Nous sommes en 1985.

A l’époque, tout jeune Guinéen sorti frais émoulu de l’université n’avait qu’une idée en tête : travailler pour l’Administration publique. C’est donc presque naturellement que ses camarades et lui prennent contact avec Bana Sidibé, le ministre des Travaux publics et de l’Urbanisme. « Parce qu’il fallait une requête du Ministre pour être recruté dans son ministère », raconte-t-il. Or Bana Sidibé n’est pas un produit du dirigisme économique imposé pendant plus de deux décennies par Sékou Touré. Il a été recruté à Dakar par le CNR. Ansoumane n’a jamais oublié sa réponse quand ils l’ont rencontré : « Après nous avoir répondu qu’il n’avait aucun poste disponible, il nous a distillé ce petit conseil :

« ce n’est pas dans l’administration que vous aurez une vie confortable. Vous gagnerez mieux votre vie dans le privé », nous avait-il soufflé.

Un conseil qui n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Surtout pour ce fils d’un homme qui fut un commerçant influent dans le pays juste après l’indépendance. El Hadj N’Faly Kaba faisait du commerce de kola et Ansoumane KABA qui lui voue une grande admiration, ne tarit pas d’éloges sur cet « homme très croyant, doté d’un caractère bien trempé » qui l’a « beaucoup inspiré.»

« Une vie plus confortable dans le privé »

Heureux hasard, quelques jours après sa rencontre avec le ministre Bana Sidibé, il apprend grâce à un ami, que le nouveau pouvoir vient de signer un premier contrat avec une société privée, la STTP (société togolaise des travaux publics). Histoire de désenclaver l’axe routier de la préfecture de Macenta à la préfecture de N’Zérékoré, le chef-lieu de la région de la Forêt. La STTP recrutait du personnel qualifié.

« Je n’avais que 26 ans. Je ne connaissais pas la région, mais cette offre m’intéressait », se rappelle Ansoumane Kaba. Et malgré les réticences et les inquiétudes de sa famille, il rencontre le patron de la société, « Monsieur Paul Abadassi » et décide de travailler pour lui. Il est engagé comme métreur. Et le voilà en pleine forêt, loin des siens, en train de convoyer des camions chargés de matériaux de construction. Un début de carrière mouvementé. L’expédition a failli tourner au drame. L’un des quatre camions conduit par un chauffeur un peu trop fougueux, fait une embardée et se renverse. C’est l’accident. Il est grave. Les dégâts sont lourds. Tous les sacs de ciment sont perdus et plusieurs personnes sont grièvement blessées. Ansoumane Kaba y échappe par miracle : «Je devais monter dans ce camion. Mais, je ne me souviens plus pour quelle raison on m’a demandé de prendre place dans un autre », relate le futur patron de GUITER S.A.

« Avoir échappé à cet accident était un vrai signe du destin pour moi », déclare-t-il. Les trois camions restants rallient Macenta et entament les travaux avec le directeur du projet, un français du nom d’Adrien Testier. Six mois plus tard, ce père de 5 enfants (3 filles et 2 garçons) qui ne rechigne pas à la tâche, est nommé conducteur des travaux. Mais nouveau contretemps, après l’achèvement du désenclavement de l’axe Macenta-N’Zérékoré, la STTP n’a pas les moyens matériels suffisants de répondre favorablement à un nouveau contrat qu’elle vient de se voir proposer par l’état guinéen pour le compte du projet Sogupah. Construire la route menant de N’Zérékoré à Diécké (préfecture de Yomou) à la frontière du Liberia, bordant un vaste espace où la société guinéenne de palmier à huile et d’hévéas (SOGUIPAH) projette de faire des cultures, est au-delà de ses capacités.

« Patron dans les gênes »

Pas assez équipée pour exécuter des travaux d’un tel volume, la firme togolaise jette l’éponge. La SOFINCO, une société belge la supplée in extremis. Ansoumane Kaba n’a pas tout perdu dans cette défaillance de la STTP. Il est approché par Jolly Henry le responsable des infrastructures de la SOFINCO, un Français qui lui propose d’intégrer son équipe s’il accepte de baisser son salaire. Il n’est pas contre mais pose une condition : que la SOFINCO accepte en échange qu’il lui trouve le matériel nécessaire pour mener à bien les travaux. Les deux hommes tombent d’accord sans que le grand patron de l’entreprise belge n’ait été mis dans la confidence.

Les relations entre Ansoumane KABA, Paul Abadasi et Adrien Testier ses anciens patrons sont restées excellentes. Adrien Testier directeur du projet avait été séduit par les compétences et la générosité dans le travail d’Ansoumane Kaba. « Il croyait vraiment en moi. Au point qu’un jour, il a prononcé ces mots que je n’oublierai jamais : on ne devient pas entrepreneur, on naît entrepreneur. Et vous en avez les attributs dans les gênes ». C’est donc sans hésiter qu’Adrien Testier recommande son désormais ancien employé à El Hadj Balla Kaba, un vieux diamantaire auprès de qui, il avait louer pour les travaux un nouveau Bull D7G. Ce dernier lui fait confiance. Non sans l’avoir mis en garde : « Si vous ne payez pas les frais de location des machines, je les reprendrai immédiatement, et vous aurez en plus la charge de les ramener à Kissidougou, une localité située à 357 kilomètres plus loin », lui signifie sans détour le vieil homme. La clause a même été consignée dans le contrat.

« C’est ainsi que tout a commencé pour moi », indique-t-il non sans une certaine émotion. Il n’est pour autant pas au bout de ses peines. Pour gagner son pari, il lui faut trouver encore plusieurs autres machines. Notamment des chargeurs et des niveleuses. A N’Zérékoré, il a fait connaissance avec Faciné Touré le gouverneur de la région qui l’a vu à l’œuvre sur le terrain. Faciné Touré avait été dépêché à N’Zérékoré par la junte militaire pour y « mettre de l’ordre ». Et les deux hommes ont sympathisé.

Nouveau signe du destin, entre-temps, Faciné Touré qui connaît donc parfaitement les difficultés des populations de cette région en matière d’infrastructures routières, a été rappelé à Conakry où il a été nommé ministre des Travaux publics et des Transports. Ansoumane Kaba le rencontre. L’entretien est cordial. Le ministre autorise Gouressy Ly, le directeur Général de la SOGUITRO (Société Guinéenne des Travaux Routiers), financé par la Banque mondiale, équipé d’une centaine de machines caterpillar et de camions à mettre à sa disposition les machines supplémentaires dont il avait besoin. « Des machines flambant neuf », s’enthousiasme-t-il encore.

« C’est ainsi qu’armé d’une farouche détermination, j’ai pris mon départ d’entrepreneur individuel en créant en 1989, GUITER (Guinéenne de Terrassement Routier) dont l’acte de naissance a été signé par Faciné Touré », se remémore-t-il.
Trente ans plus tard, GUITER S.A est devenu le leader national dans les secteurs des mines et de la construction des routes. Au point de jouer dans la cour des grands aux côtés des entreprises chinoises, occidentales et africaines.

« GUITER S.A. dans la cour des grands »

Et pourtant, à l’en croire, rivaliser avec les entreprises de l’Empire du milieu n’est pas chose aisée : «On se retrouve en face d’une concurrence déloyale», déplore-t-il: «les entreprises asiatiques en général et chinoises en particulier sont très fortement soutenues par leurs gouvernements. Qui ont à un moment donné, imposé aux entreprises et aux investisseurs occidentaux qui venaient dans leurs pays, de réaliser leurs projets en cotraitance avec les entreprises locales. Sans cette disposition qui protège les entreprises locales, jamais celles-ci ne se seraient autant développées ».
de souhaiter vivement que l’Etat guinéen en prenne pour exemple pour aider les entreprises locales de son pays ( l’un de ses grandes mission en sa qualité de Président du patronat guinéen : «nous sommes d’ailleurs en train de travailler sur le sujet avec le gouvernement, notamment avec le ministère des Mines et le Premier ministre ».

GUITER S.A. s’est par ailleurs associée à la SINTRAM, (société nationale des travaux du Maroc) pour la réalisation du terrassement sur un projet de construction du barrage du complexe hydroélectrique Frankonédou-Kogbèdou « Nous n’en serions jamais arrivés là, si je n’avais pas géré l’entreprise de façon rigoureuse, verticale, dans l’ordre et dans la discipline », dit-il. Et de poursuivre : « sans cette rigueur, elle aurait probablement connu le même sort que les 300 entreprises qui en 1989, avaient participé en même temps que nous à un programme d’infrastructures financé par la Banque mondiale, KFW (Kreditranslalt Für Wiederaufbau), et l’USAID pour l’aménagement de pistes rurales et de routes en terre, afin de désenclaver des zones agricoles.»

« Un patron Philanthrope »

Mais aujourd’hui, celui qui préside depuis avril 2016 le Conseil national du patronat (CNP-Guinée), le plus influent patronat du pays, codirige l’entreprise en famille avec ses enfants qui ont fait de brillantes études dans des universités américaines et canadiennes : «Ma première fille qui a fait des études de Finances aux Etats-Unis, puis son master à Shanghai travaille à mes côtés comme contrôleur interne. La deuxième est diplômée comme moi en génie civil, tout comme mon premier garçon. Ma troisième fille est également spécialisée en finances », souligne-t-il. Et d’ajouter : « c’était devenu nécessaire de travailler en équipe, parce que nous diversifions désormais nos activités ».
L’appétit venant en mangeant, GUITER S.A. ambitionne de s’exporter dans les années qui viennent en Sierra Leone, au Libéria, au Mali et en Côte d’Ivoire. Chef d’entreprise ambitieux et rigoureux, Ansoumane Kaba, musulman très croyant qui va régulièrement prier à la mosquée et a déjà effectué plusieurs pèlerinages à la Mecque, est aussi un philanthrope : «Je m’implique énormément dans des actions caritatives dans ma région. C’est très important pour moi. Car je suis conscient d’une chose. Nous avons beau accumuler richesse et biens matériels, nous quitterons cette terre les mains vides ». Pas étonnant qu’il voue une admiration particulière au milliardaire nigérian Aliko Dangoté et au fondateur de Microsoft, l’Américain Bill Gates, le deuxième homme le plus riche au monde ; dont les fondations sont très actives dans le domaine humanitaire.