De son silence colérique et désespérant mais sans résignation, l’une des personnalités publiques les plus populaires et les plus respectées du pays, reste plus que jamais déterminée et engagée dans son constant combat pour la démocratie, les droits de l’homme et le bien-être des Guinéens. L’ancien ministre guinéen des droits de l’homme, des libertés publiques, de la Citoyenneté et de l’Unité nationale, Khalifa Gassama Diaby, reste égal à lui même, les convictions fermes et invariables, le ton toujours franc et direct, et l’engagement ferme et assumé. Dans une interview exclusive à MediaGuinee, M. Diaby évoque entre autres la situation nationale, la démission de l’élite et des intellectuels guinéens, la dissolution du gouvernement Goumou, la nomination de Bah Oury à la Primature, mais aussi le chronogramme de la transition. Interview (1ère partie)…
Mediaguinee : Bonjour monsieur le ministre. Vous êtes incontestablement l’une des personnalités les plus crédibles et les plus populaires dans ce pays. On connaît vos positions tranchées sur les questions démocratiques et les droits de l’homme, et depuis le départ sur la conduite de cette transition. Vous avez été une des premières voix à mettre en garde contre les dérives et les errements de la transition dès le départ. Depuis longtemps, votre voix se fait rare. Qu’est-ce qui explique ce silence de la part de quelqu’un qui est connu pour sa liberté d’esprit, de ton, pour son caractère rigoureux et de ses engagements reconnus pour la démocratie et les droits de l’homme en Guinée ?
Khalifa Gassama Diaby : (d’une voix grave et posée) Que voulez-vous que je dise sur la situation générale du pays ou la conduite de cette transition qui ne soit pas aujourd’hui une évidence qui crève les yeux ? Moi, je ne suis pas un commentateur de la vie publique, je suis un acteur. Comment peut-on penser dans ce pays que l’on peut s’en sortir dans le manque de sérieux et dans la comédie permanente ? Dans quoi et dans quel domaine fait-on preuve de sérieux et de responsabilité dans ce pays ? Pire, Lorsque pour une gouvernance l’aveuglement narcissique et l’hybris du pouvoir atteignent des proportions qui dépassent l’entendement, il n’y a plus de place pour les discours, la réflexion, le dialogue, la discussion, les conseils ou la dénonciation. Il ne restera plus que l’action comme perspective et le peuple dans sa responsabilité souveraine et assumée comme issue. C’est profondément regrettable, mais c’est ainsi. Je souhaite et j’ai toujours souhaité de tout cœur, sincèrement et profondement que cette transition réussisse de facon responsable et profitable à tous, qu’on sorte de ces petits jeux de manipulations, de manœuvres, de postures de suffisance, des petites politiques marchandes, d’intimidations et d’illusions ravageuses. Hélas on en prend pas le chemin, depuis bien longtemps. Les tentations névrotiques du pouvoir ont toujours détruit les espérances de ce peuple. Mais, quoiqu’il en soit, le peuple de Guinée ne peut se donner le luxe de la résignation suicidaire permanente. Je le dis et j’assume. A chacun sa responsabilité. Quant à moi, je suis fatigué de commenter les absurdités et les fumisteries loufoques dans ce pays !
Mediaguinee : monsieur le ministre, on vous sent bien en colère. Les Guinéens ont envie de vous entendre…
KGD : Je ne suis pas en colère, je suis juste triste de voir ce pays sombrer dans une théâtralité ridicule et mortifère. Dans ce pays, nous ne sommes doués que dans la comédie, dans le faux, dans la mascarade et des jeux de rôles qui trahissent toujours les rêves d’un peuple qui ne demande qu’à être respecté, protégé et satisfait. Je porte aussi ce peuple sans distinction, dans le coeur et dans la chair. Je porte ses douleurs comme une peine personnelle. Je vis ses déceptions comme un échec douloureux. Mais malheureusement je n’ai rien à rajouter que je n’ai déjà dit depuis toujours, depuis le début de cette fameuse transition…qui fait tout sauf ce qui est nécessaire pour une transition. Je suis juste triste et le cœur qui saigne pour ce pays et ce peuple, tellement nous sommes têtus dans les bêtises, tellement nous sommes mauvais, ridicules, médiocres, malhonnêtes, cupides, sans ambitions, sans vision, irresponsables, enfantins, narcissiques, théâtral, futiles et gloutons dans ce pays, tout ça dans un ego et un dédain incommensurables. Notre nationaliste est un feu de paille, notre patriotisme est une imposture. Chacun pense à ses intérêts, le peuple attendra ! Dans nos bêtises et nos conneries, nous nous croyons seuls au monde, pas de modèle vertueux pour nous, pas d’exemples positifs à suivre, pas de règles à respecter, pas de principes démocratiques à célébrer, pas de valeurs humanistes à consacrer. Nous faisons comme bon nous semble, même les sottises théâtrales ne nous épuisent pas. Il faut juste gagner, s’imposer, quelque soit le prix à payer. S’il faut tuer, humilier, rabaisser, trahir, mentir pour le pouvoir et ses privilèges, dans ce pays, on est toujours prêt et tout semble permis. Droit dans nos bottes, nous tutoyons les futilités avec une aisance déconcertante. Personne n’a de compte à rendre aux Guinéens. Le peuple n’existe pas, sauf quand on a besoin de le manipuler ou le diviser. En attendant, les Guinéens peuvent crever de misère et de désespoir entretenu, sans un silence et un désintérêt incroyables. Les désirs et les caprices de nos gouvernants sont plus importants et ils font office de loi, tant pis pour les dégâts. Les lois de la République sont là pour les plus faibles du moment, pour les pauvres et ceux qui ne sont pas du côté du pouvoir en place. Le monde continue de changer sous nos yeux et nous continuons dans nos petites vies de médiocrités et de stupidités stupéfiantes…sans honte !
Mediaguinee : votre constat est très tranchant et sans concession, face à tout ce que vous décrivez-là, quel peut être le rôle des intellectuels pour permettre à notre pays d’aller de l’avant ?
KGD : Je ne suis absolument pas tranchant. Les réalités de ce pays sont bien plus tranchantes, plus horribles et plus cruelles. Et pour les intellectuels auxquels vous faites appel, dites-moi de quels intellectuels parlez vous? « Ceux qui ont le ventre plus gros que le cerveau « ? Comme le disait un célèbre écrivain guinéen de renommée mondiale. Ou alors vous parlez de ces intellectuels qui ont leurs cerveaux et leurs esprits critiques dans les intestins? Je ne sais pas de qui parlez-vous, des diplômés ou des intellectuels ? Peu importe, c’est du pareil au même. A chacun sa conscience et sa liberté, malgré tout.
Mediaguinee : Je parle de l’élite guinéenne qui doit jouer son rôle pour la construction de ce pays, monsieur le ministre.
KGD: Quelle élite? L’élite guinéenne (à quelques exceptions près) déteste ce pays. L’élite guinéenne déteste et méprise ce peuple. Il faut que vous integriez cela dans votre schéma de pensée sur que vous appelez élites de ce pays. L’élite guinéenne aime ce que ce pays lui procure comme ressources et avantages. Elle aime ce qu’elle tire de ce pays comme gains. Alors parlez-moi d’autres choses, laissez tomber ces concepts foireux. Le salut de ce peuple, viendra de lui-même, de sa prise de conscience et de sa capacité à s’occuper de lui même. Les élites de ce pays et le système qu’elles entretiennent depuis des décennies sont des vampires qui s’abreuvent quotidiennement de la misère du peuple et du chaos de ce pays.
Mediaguinee : vous voulez parler du non-engagement de l’élite ?
KGD : absolument pas. Je ne veux donner de leçons d’engagement à personne. Chacun est libre. Mais la vérité et les principes nécessaires au bon fonctionnement de la société, l’élite y a un rôle important à jouer. L’histoire intellectuelle a toujours été liée à la défense de la vérité, de la justice et de la liberté. Être intellectuel et tourner le dos à ses combats, est un contre-sens historique et moral. Les pouvoirs dominants doivent toujours avoir face à eux une société civile au sens large du terme, capable de défendre un certain nombre de valeurs et d’idéaux. Sinon c’est la porte ouverte aux dérives tyranniques. Et…. « Les tyrans n’aiment pas la vérité. Car la vérité n’obéit pas », disait George Orwell. Après tout, on a les élites qu’on mérite, les intellectuels qu’on mérite….et le pouvoir qu’on mérite ! La majorité de nos élites et de nos intellectuels sont toujours du côté des puissants et des dominants. C’est leur choix après tout. Chacun est libre. Seulement le problème c’est que s’il n’y pas de voix et d’actes suffisants pour défendre raisonnablement le peuple, il finira par se défendre lui même….un jour et à sa manière.
Mediaguinee : Comment expliquez-vous cette démission de l’élite et des intellectuels face aux problèmes du pays ?
KGD : Je n’en sais rien. Il y a probablement mille raisons de ne pas assumer son rôle d’intellectuel ou d’élite dans ce pays. Il y a autant de raisons de le faire. Je n’aime pas trop ce sujet sur les intellectuels et les élites, parce que d’une part je n’aime pas le populisme primaire, mais d’autre part, force est de constater la trahison d’une bonne partie des intellectuels et des élites dans ce pays, au profit de la pérennité d’un système qui est fait et qui fonctionne contre son peuple et les intérêts vitaux du pays. Hélas!
Mediaguinee : avez-vous quand même un message à passer au Président de la transition et au Gouvernement pour la réussite de cette transition ?
KGD : Non. Je n’ai aucun message pour eux.
Mediaguinee : pourquoi ?
KGD : parce que j’en ai pas envie!
Mediaguinee : Un conseil alors afin que cette transition ne dérape pas ?
KGD : Aucun conseil non plus, ils n’ont d’ailleurs pas besoin de mes conseils. Et la transition a déjà dérapé depuis bien longtemps !
Vous êtes un homme d’expérience, une personnalité écoutée et un intellectuel reconnu, c’est important de profiter de vos rares sorties pour partager vos idées et donner des conseils pour que cette transition retrouve ses fondamentaux de départ et aboutisse à un retour normal à l’ordre constitutionnel et civil
KGD : Je vous dis que je n’ai aucun conseil à donner à personne. Absolument aucun. On conseille des gens qui ont besoin d’être conseillés ou qui sont disposés à entendre des conseils. L’humilité n’a jamais été une qualité pour nos gouvernants. Ils sont puissants et ils écrasent tout et tout le monde. On ne conseille pas des gens, qui savent parfaitement bien ce qu’il faut faire, ce qu’ils doivent faire, mais qui refusent de le faire. Comme on le dit: on ne réveille pas quelqu’un qui fait semblant de dormir. Pourquoi conseiller des gens qui savent tout, qui ont tous les pouvoirs, qui sont les plus forts, les plus riches, les plus puissants, les plus intelligents ? En clair, des petits dieux sur terre,….(Éclat de rire…) [Et le ministre d’exclamer] Oh vous qui êtes si ivre des délices du pouvoir…., la gueule de bois frappera un jour à vos portes…! [Avant de conclure calmement] : Je dis juste au CNRD qu’on ne peut pas prendre le destin de tout un peuple en otage et espérer se soustraire au sévère jugement de l’histoire. Et si le CNRD n’abandonne pas la volonté inacceptable et indéfendable de confiscation du pouvoir au mépris de ses propres engagements et des règles les plus élémentaires du principe démocratique, qu’ils s’attendent aux sévères sentences de l’histoire et à la revanche du réel.
Mediaguinee : Que pensez-vous de la dissolution du gouvernement Goumou et de la mise en place du gouvernement Bah Oury ?
KGD : je ne pense absolument rien. De toute façon, je crois que ce n’est pas le gouvernement qu’il fallait changer, mais plutôt l’idée que le CNRD se fait de cette transition. Donc il faut que le CNRD nous sorte de cette impasse dangereuse pour eux et pour le pays. Qu’il organise les élections et laisse le peuple de Guinée choisir librement ses dirigeants et renouer avec une vie démocratique civile et stable. On ne peut pas faire le procès de la démocratie à Alpha Condé et nous retrouver dans un régime de non droit, de non règle, sans visibilité ni perspective sérieuse et rassurante. Quand est-ce que les dirigeants de ce pays comprendront que le peuple n’est pas leur esclave et que la souveraineté populaire est inaliénable? A vouloir étouffer un peuple, on prend le risque de subir tôt ou tard, sa colère ravageuse et destructrice. Pourtant, la dynamique et l’espérance démocratiques déjà entamées dans ce pays ne s’arrêteront pas. Croyez-moi. C’est le sens de l’histoire et l’histoire est têtue !
Mediaguinee : Que pensez-vous alors de l’idée d’une prolongation de la transition jusqu’en 2025 ?
KGD : Une autre fumisterie guinéenne, Une autre pièce de théâtre comique comme on sait bien en faire dans ce pays. c’est toujours le même problème dans ce pays. On prend les causes pour les conséquences et inversement. Et ceux qui sont le problème se présentent comme étant des solutions. Pourquoi ce débat aujourd’hui? Si ce n’est parce que le CNRD n’a jamais eu l’intention de respecter ses engagements avec la CEDEAO…ni avec personne d’ailleurs. Et sur le plan interne ils n’ont eu que mépris et dedains pour les acteurs politiques qui comptent mais qui ne pensaient pas comme eux. Pour des gens qui se disent nationalistes et patriotes, c’est pour le moins étrange et paradoxale….( rire) ! Si le CNRD tient à faire sa transition comme bon lui semble, et à considérer l’avis et la position de ceux qui ne partagent pas la façon dont la transition est conduite, comme un crime de lèse-majesté, pourquoi demander leurs avis pour la prolongation de la transition ? Qu’ils fassent ce qu’ils veulent et comme veulent, comme ils l’ont toujours fait depuis le départ. Maintenant s’il y a des acteurs politiques, civils ou sociaux (comme il y en a toujours eu dans ce débat) qui veulent accompagner cette mascarade, cette imposture, en leur fournissant leurs accords insignifiants sur quelque chose qui se décidera de toute façon sans eux, grand bien leur fasse. J’ai comme l’impression qu’on nous parle du report des élections qui n’ont jamais été dans les priorités du CNRD, ni hier ni aujourd’hui. De grâce, il faut qu’on arrête de se foutre de notre intelligence dans ce pays. Que le CNRD assume. S’ils ne veulent pas organiser les élections et mettre fin à cette transition qui coûte gravement et dangereusement à notre pays et à notre peuple, qu’ils le disent et l’assument. Il reviendra au peuple de Guinée d’assumer sa responsabilité et de faire face à son destin, en toute liberté et responsabilité. Maintenant, ils sont de bonne foi et veulent changer de vision et de méthode de la transition, en ce moment il reviendra à toutes les forces vives du pays de se retrouver pour discuter des conditions, des modalités et des paramètres de cette prolongation. Tout dépendra donc alors de la sincérité, de la bonne foi et du sérieux des uns et des autres, principalement et fondamentalement du CNRD et de son gouvernement. Bon sang de Dieu, si le CNRD est de bonne foi et qu’il veut réellement organiser les élections et mettre fin à cette transition, qu’il le fasse, que le pays retrouve la normalité et le sérieux démocratique. On aime trop la comédie et les impostures funestes dans ce pays, au détriment du destin de tout un peuple. C’est triste ! On a passé plus de deux ans à tourner en rond, à tout promettre et tout faire sauf ce qui est nécessaire et utile à une honnête transition démocratique. Et puis là on vient nous expliquer qu’il faut accepter l’idée d’un report ou d’une prolongation. Mais de qui se moque t-on ? Qui a proposé et négocié ce chronogramme avec la CEDEAO ? Le CNRD! Et si le CNRD n’est pas capable de respecter ses propres engagements d’hier, pourquoi respectera t-il ses engagements d’aujourd’hui ou de demain?
(…) La suite de l’interview à venir
(…) La suite de l’interview à venir
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