Procès du 28 septembre : Le ministère public balaie les arguments de la défense 

Les débats étaient houleux au niveau de la défense à propos de la réquisition du ministère public sur la requalification des faits pour lesquels sont poursuivis Dadis Camara et autres. La journée du 18 mars n’a pas suffi aux avocats de la défense pour exposer leurs arguments visant à demander le rejet de la demande du ministère public. C’est dans l’après-midi du 19 mars que Me Salifou Béavogui et ses confrères ont terminé. Pendant une journée et demie, ils ont expliqué pourquoi le tribunal devait rejeter la demande du parquet en se basant sur l’arrêt n°6 du 25 juin 2019 prononçant un non-lieu partiel et la requalification des faits de la Cour suprême. Ils ont aussi parlé de la non-rétroactivité de la loi, vu que les infractions sur le crime contre l’humanité ne sont intégrées dans le Code pénal qu’en 2016. Ensuite, selon la défense,  le tribunal ne peut juger cette affaire avec le Statut de Rome.

À la suite de la défense, le procureur de la République près le tribunal criminel de Dixinn a pris la parole balayer du revers de la main les arguments de la défense. D’abord, Algassimou Diallo a indiqué que la défense a prêté des intentions au parquet qu’il n’a pas: “Monsieur le président, nous prenons la parole puisque plusieurs choses vous ont été dites depuis hier. Des intentions ont été prêtées au parquet, on nous a fait dire ce que nous n’avons pas écrit, on nous a fait dire ce que nous n’avons pas dit. Je voudrais ici, monsieur le président, revenir sur un certain nombre d’éléments… mais avant, grande a été ma surprise hier d’apprendre de certains conseils des accusés ou plutôt d’entendre certains conseils des accusés prêter à votre tribunal des intentions qui sont loin de vous. Et d’aucuns sont allés jusqu’à menacer de boycotter les audiences au cas où votre tribunal accédait à la demande de requalification sollicitée par le parquet. Plus loin, certains se sont livrés à un exercice de chantage. Monsieur le président et messieurs les assesseurs, toutes les parties à cette audience sont demanderesses de justice et il y a une disposition phare. Côté ministère public, nous la respectons rigoureusement. Ce sont vos prérogatives contenues dans l’article 400 du Code de procédure pénale.”

Le procureur de la République a rappelé que le tribunal n’a pas été saisi de qualification : “Votre tribunal est saisi des faits et des personnes, il n’est pas saisi de qualification. Votre juridiction n’est pas saisie de qualification. Il n’y a rien sur le plan légal qui vous empêche de restituer aux faits leurs véritables qualifications. Vous le faites en longueur de journée, monsieur le président. Les juridictions l’en font à longueur de journée.”

Sur le cas de l’incompétence du tribunal à juger l’affaire en cas de requalification, comme évoqué par Me Jocamey, le procureur de la République de Dixinn indique: “Ils ont évoqué l’incompétence de votre juridiction au profit de la CPI en cas de requalification. Pour vous donner la version contraire, nous ferons usage des dispositions des articles 724, 725 qui renvoient aux dispositions de l’article 54 du Code de procédure pénale qui tiraient de la compétence des parquets”.

Un avocat de la défense a indiqué que le ministère public devait attendre les réquisitions pour faire cette demande de requalification. Là aussi, Algassimou Diallo n’a pas tourné autour du pot: “À quel moment peut intervenir cette requalification là ? Elle se fait à 2 niveaux: au cours des débats, possibilité est offerte les parties que nous sommes, comme nous l’avons fait maintenant là à solliciter de votre tribunal la requalification des faits ou bien lors de nos réquisitions définitives. C’est un choix qui nous est donné, c’est l’attitude que nous avons de le faire soit pendant les débats ou bien nous attendons complètement lors de nos réquisitions définitives”.

Le substitut du procureur de la République, Abdoulaye Babady Camara, a appuyé les arguments d’Algassimou Diallo sur la qualification des faits: “Vous êtes une juridiction de jugement et votre juridiction est devant laquelle l’instruction définitive se fait et vous avez la plénitude de donner aux faits leurs véritables qualifications. Vous êtes saisi des faits et non de la qualification (par rapport à l’arrêt de la Cour suprême, ndlr). Votre juridiction, vous, juge pénal, vous disposez du pouvoir souverain de requalifier et vous n’avez pas d’autorité supérieure, même juridictionnelle en la matière. L’arrêt de la Cour suprême ne vous empêche pas de requalifier les faits. Et le parquet est dans ses pleins droits à cette phase de la procédure de soumettre à votre tribunal la question de requalification.”

Les avocats des parties civiles ont abordé dans le même sens. Me Gilbert Camara et Me Elhadj Amadou Oury Diallo ont fait savoir que la Guinée ayant ratifié le Statut de Rome depuis le 14 juillet 2003, soit six ans avant le massacre du 28 septembre 2009. Me Gilbert s’est appuyé sur le cas de la Côte d’Ivoire où Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ont été jugés à la Cour pénale internationale (CPI). Pourtant,  dit-il, la Côte d’Ivoire a ratifié le Statut de Rome en 2013, alors que les faits pour lesquels sont poursuivis l’ancien président et son ministre de la Jeunesse ont été commis en 2010.

Sur le cas de la non-rétroactivité de la loi, faisant référence au Code pénal de 2016, Me Amadou Oury Diallo a rappelé que le Code pénal de 1998 autorisait la peine de mort, alors que celui de 2016 parle de perpétuité. Pour lui, entre l’ancienne et la nouvelle loi, si la nouvelle loi est plus souple en faveur de l’accusé, c’est elle qui doit être appliquée.

Donc pour ces avocats,  le tribunal peut bien requalifier les faits en crime contre l’humanité et il peut bien, selon eux, juger l’affaire sur la base des textes de la CPI.