Quand Prométhée se promène en Guinée : incendies criminels ou imprudences ?

Le dépôt d’hydrocarbures, le dépôt du matériel d’EDG, le Camp Samory Touré, les marchés à Conakry et à l’intérieur du pays, le ministère de la Culture, l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia… D’importants sites du pays ont brulé ces six derniers mois en Guinée.

« Le pays brûle !» Ce cri de détresse d’un commerçant face à l’incendie ravageur du centre commercial ENIPRA, au grand marché de Madina, dans la nuit du jeudi 2 mai, a tout son sens face à la série d’incendies qui ravage des importants sites de la capitale. Depuis un certain temps, la majorité des sites du pays voient leurs installations et sièges partir en flammes. Le dépôt de carburant à Coronthie, dans la commune de Kaloum, le grand marché de Madina, le Camp Almamy Samory Touré où siège le ministère de la Défense, le bâtiment du ministère de la Culture et du Tourisme, les locaux de l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia…les résidences privées pour ne citer que ces sites. Le phénomène d’incendie va crescendo ces derniers temps. Des quartiers entiers sont partis en feu à plusieurs reprises. Même à l’intérieur du pays, des cas d’incendies ont été relevés. Des flammes qui amènent toujours à se poser des questions dont les réponses tardent à venir, en tout cas pas pour l’instant.

Plus d’une centaine de cas d’incendies  sont enregistrés ces trente derniers mois. La ville de Conakry en tête. Et cette série noire continue d’endeuiller les populations sans qu’aucune garantie ou moyen de prévention pour mettre fin à ce fléau, ne soit envisagée.

Réduits en cendre, le dépôt de carburant n’a eu d’autres issues que la reconstruction de nouvelles installations avec de nouvelles cuves sur le même site. Les commerçants victimes de l’incendie à Madina, tentent tant bien que mal de reprendre leurs activités sur la cendre et les gravats du désastre. Dans les ministères ravagés par les flammes, on squatte les bureaux d’à côté. A l’université Général Lansana Conté de Sonfonia, les étudiants et les enseignants se débrouillent comme ils peuvent pour sauver l’année académique. Les familles victimes d’incendie dans les quartiers, se lamentent et attendent désespérément la providence. Les populations dans la peur, se terrent dans les maisons et implorent la grâce divine afin d’échapper aux flammes qui se propagent. Les autorités promettent de faire la lumière et de mettre hors d’état de nuire les auteurs de ces incendies criminels.

Mais au fait, à qui profitent ces incendies ? Un réseau de pyromanes s’est-il installé dans la capitale guinéenne ? Ces incendies sont-ils de simples accidents nés de l’imprudence ou posés de façon délibérée et bien planifiée ? A qui incombe la faute de ces incendies qui se déclarent la plupart du temps la nuit ?

Attention ! Les feux dévastateurs rôdent

Une centaine de cas d’incendie, soit trois cas en moyenne par semaine, enregistrés au cours de ces  trente-et-deux derniers mois, ont fait des vingtaines de morts, des centaines de blessés et causé des dégâts matériels considérables, avec entre autres, la destruction de maisons, de véhicules, de magasins…

Trois cas de ces incendies retiendront notre attention compte tenu de l’importance des dégâts qu’ils ont causés. Ce sont ceux du dépôt du carburant, du grand marché de Madina et du dépôt de matériels d’EDG qui ont fait une vingtaine de morts et des centaines de blessés.

A Kaloum, un incendie meurtrier dans le plus grand dépôt de carburant fait plus de 23 morts et de 241 blessés

Dans la nuit du dimanche 17 au lundi 18 décembre, un important incendie s’est déclaré dans le principal dépôt d’hydrocarbures du pays, faisant 23 morts et 241 blessés sur coup. Le sinistre est survenu aux environs de minuit, entraînant la panique dans ce quartier administratif de Conakry. Le souffle de l’explosion et l’incendie qui a suivi dans la zone ont provoqué d’importants dégâts matériels et mis à l’arrêt l’économie. L’explosion et l’incendie ont laissé des centaines de ménages sinistrés et continuent de paralyser l’économie du pays jusqu’à aujourd’hui. De nombreuses déclarations d’alors faisaient état d’un nombre important de disparus.

Un gigantesque incendie ravage l’entrepôt de l’EDG

Quatre mois après, c’est-à-dire le vendredi 12 avril 2024 à 14 heures, un incendie s’est déclaré dans l’entrepôt de l’EDG au quartier Hamdallaye, dans la commune de Ratoma. Cet incendie ravageur d’une origine douteuse, a provoqué des dégâts logistiques et matériels importants au niveau de réserves matérielles de dépannage de l’Electricité de Guinée. Des compteurs prépayés, des transformateurs, des câbles et autres types de matériels servant de réserves pour la société, sont partis en fumée. Malgré le déploiement des sapeurs-pompiers du ministère de la Sécurité et de la Protection civile, appuyé par d’autres entreprises privées, les flammes ont tout décimé sur leur passage dans ce dépôt.

A la tête d’une importante délégation gouvernementale, le ministre de la Sécurité et de la Protection civile Bachir Diallo a déploré la survenue de cet incendie qui a causé des pertes énormes à l’EDG. « Nous sommes venus faire le constat du drame sur le dépôt central de la société d’Electricité de Guinée« , a affirmé le ministre. Selon lui, l’incendie est survenu alors qu’il n’y avait pas d’électricité dans la zone. Ce qui fait douter sur l’origine criminelle ou non dudit incendie. Le ministre a tout de même affirmé que des enquêtes étaient ouvertes, afin de savoir davantage l’origine de l’incendie survenu dans des circonstances floues.

Le jeudi 2 mai, un immense incendie ravage le centre commercial d’ENIPRA au marché de Madina: plusieurs milliards de francs guinéens partis en fumée

Dans la nuit du jeudi 02 mai 2024, un autre incendie s’est déclaré dans le grand marché de Madina, dans la commune de Matam, poumon économique du pays. Plus précisément dans l’immeuble ENIPRA, qui abritent des magasins de transactions où sont terrés des coffres-forts et des boutiques où sont vendus les documents, les manuels scolaires et des appareils électroniques. Le feu se serait déclaré suite à un court-circuit, selon les témoins. « Le feu n’était pas aussi grand qu’au départ. Ce n’est que par la suite qu’il s’est propagé dans l’immeuble.»

Des milliards de francs guinéens et des devises, des centaines de magasins de divers articles, des restaurants ont été emportés par les flammes. Plusieurs témoins cette nuit-là parlaient d’un court-circuit qui serait intervenu après un dépannage par des agents d’EDG. « D’abord, notre transformateur était en panne et les agents de l’EDG sont venus le réparer. Durant toute la journée, ils raccordaient les fils. Vers 21 heures, le courant est venu et le transformateur a commencé à péter et le feu a jailli avant de se propager au niveau du dernier étage. Nous avons tenté avec les gardiens d’éteindre le feu, mais nous n’avons pas pu », raconte le témoin avant de préciser par la suite que les portes du centre commercial étant fermées, ils n’ont pas pu accéder à l’intérieur. « C’est ainsi que nous avons appelé les sapeurs-pompiers, ils sont venus mais le feu avait pris tout le dernier étage. Malgré leurs efforts, les magasins sont partis en fumée ». Les pertes enregistrées sont évaluées à plusieurs milliards de francs guinéens qui laissent les victimes entre colère et consternation. Des enquêtes coordonnées par une commission mixte œuvrent pour situer les responsabilités et déterminer les dégâts réels.

« Je ne sais pas quel mot employer. Mais je suis plus que déçu de cette situation. J’ai perdu plus de 100 millions de francs guinéens de marchandises que je venais de retirer du port », s’est attristé un sinistré du marché de Madina qui a pris feu il y a trois semaines.

Pour lui, ce phénomène ressemble de près à un acte prémédité. Car, « c’est toujours la même cause de court-circuit, pourtant les soirs tout le monde rentre chez soi », s’indigne Amadou D, commerçant d’habits au centre commercial. Ce dernier qui exerçait dans la même activité a connu des déboires suite aux précédents incendies sur le même marché où cette fois-ci il a tout perdu, même les marchandises des clients qui avaient réservé des produits dans son magasin.

L’incendie a ruiné de nombreux commerçants, en particuliers ceux qui s’adonnent à la thésaurisation dans le marché. Car ces derniers avaient pris l’habitude d’y garder leur argent.  A preuve, lors de l’incendie, l’on a été surpris de voir des billets de banques brûlés éparpillés à même le sol. Des situations qui avaient pourtant fini par inciter les banques commerciales et micro-finances à s’implanter aux abords des marchés pour capter des épargnants.

Malheureusement, ici comme souvent ailleurs en Afrique, les marchands ne sont que rarement assurés, et les indemnisations, aléatoires, sont toujours jugées insuffisantes. Les conséquences sur l’économie du pays peuvent être dramatiques.

Le bâtiment du ministère de la Culture et du Tourisme part en feu le lundi 6 mai

Deux jours après l’incendie qui a ravagé le marché de Madina, un autre incendie d’origine inconnue s’est déclaré au Ministère de la Culture, du Tourisme et de l’Artisanat au petit matin de ce lundi 6 mai 2024. Le jeune ministre Moussa Sylla s’est réveillé ce lundi sans bureau. Les responsables du service de Communication et de Relations Publiques, ont assisté impuissants au spectacle de leurs bureaux réduits en cendre à 6 heures du matin.

Alerté, le ministre Sylla s’est aussitôt rendu sur les lieux pour constater les dégâts. Sur le lieu du sinistre, il a salué les efforts de l’équipe des sapeurs-pompiers qui se sont déployés pour contenir les flammes.

En attendant que les enquêtes déterminent les causes exactes de ces incendies et face à des incendies de plus en plus dévastateurs qui ont déjà endeuillé plusieurs familles à Conakry comme à l’intérieur du pays depuis ces derniers temps, des mesures provisoires seraient prises pour accompagner les victimes. Le Gouvernement a assuré les victimes de sa solidarité totale dans cette épreuve. 

Saura-t-on un jour les causes de cette étrange série d’incendies qui endeuillent et appauvrissent des familles ? Ces incendies qui inquiètent les populations ?

À quoi sont dus les incendies criminels qui ravagent tout, ces derniers temps?  Est-ce un acte de pyromane guidé par une intention inavouée?

En réalité, l’on n’a jamais vu comment se déclencher le feu dans ces dépôts, ces entrepôts, ces marchés, ces ministères ni dans les résidences privées. Donc difficile de savoir les mobiles réels ou les causes. Pour la protection civile, la série des sinistres est due à la vétusté des installations électriques. Ici on pense que les cas d’incendies peuvent être provoqués par l’encombrement du marché, l’inexistence d’isolements, présence de câbles non fixés correctement dans les quartiers et même dans les bureaux, surcharge des prises électriques et branchements anarchiques. A côté de cela,  il faut reconnaître que les marchés aujourd’hui sont surpeuplés et les voies encombrées. Car l’estimation moyenne des marchés modernes doit équivaloir à 12.000 places. Malheureusement, l’on assiste à   des installations anarchiques de fils électriques.  Des situations qui favorisent des cas d’incendies. Par exemple, lors de notre enquête dans l’un des grands marchés de la capitale nous avons été stupéfaits de constater qu’il n’y avait aucun désenfumage. Ce qui rend difficile le travail des sapeurs-pompiers, en cas d’incendie.

A côté des incendies dus à l’électricité, à savoir la forte tension, les branchements anarchiques et clandestins, il faut citer les différentes causes des incendies domestiques, telle que la cigarette par exemple. Fumer est toujours l’une des principales causes d’incendies domestiques. Bien que de nombreuses cigarettes contiennent un retardateur de flamme, il est souvent déjà trop tard lorsque vous vous endormez, par exemple. Votre cigarette est peut-être éteinte, mais les couvertures ou votre matelas, qui couvent à cause de la cigarette allumée, peuvent encore prendre feu. Il y a aussi la cuisine. C’est une cause majeure d’incendie. L’huile ou la graisse trop cuite peut prendre feu lorsqu’elle entre en contact avec la source de chaleur. Même sans cuisson excessive, l’huile et la graisse peuvent devenir si chaudes qu’elles brûlent spontanément  Il ne faut pas oublier non plus la bougie qui est une cause classique d’incendie.  Une bougie placée trop près d’une substance hautement inflammable provoque l’incendie lorsqu’elle est tombée ou a été laissée sans surveillance.  Il y a aussi  les allumettes qui n’ont pas leur place dans les mains des enfants. Les enfants qui jouent avec des allumettes sont souvent à l’origine d’incendies.

…Saboter coûte que coûte le régime en place ?

Les feux touchent des infrastructures majeures telles que des ministères et l’inquiétude des populations ouvre la voie à toutes sortes de rumeurs. Certains parlent de sabotage, d’autres accusent l’EDG et les branchements anarchiques.

Depuis plusieurs semaines, des feux ravagent progressivement des infrastructures de part et d’autre de la capitale. Ministères, marchés, institutions d’État… Les départs de feu surviennent chaque semaine sur des sites considérés comme stratégiques pour le pays à tel point qu’on pense aux « actions de sabotage » pour « saper les efforts entrepris » par la junte du CNRD. Ici, on privilégie le complot : « des actions de sabotage sont orchestrées en série » prenant « pour cible des lieux sensibles ayant un impact direct sur le quotidien des populations espérant ainsi créer le chaos. Peine perdue. » Quant au procureur de la République, il  assure que les enquêtes sont en cours pour déterminer l’origine des flammes.

Pour bon nombre de citoyens, interrogés lors de notre enquête, cette série d’incendies à laquelle assistent impuissants les Guinéens est un acte de pyromanes manipulés pour saboter le régime en place. Selon Ibrahima D, cadre au ministère de la Culture et du Tourisme, il y a une main occulte derrière ces dégâts. «Il y a des gens qui  cherchent à nuire ou à saboter le pouvoir. Saper le moral des populations pour rendre le régime du CNRD impopulaire», soutient le cadre très remonté ce jour-là.
Il sera suivi par cet autre vendeur de bijoux au marché de Madina. « Je pense que ce sont les pyromanes qui sont à la base de ce business. Ils mettent le feu et après ils se présentent comme de bons samaritains. Tout en nous menant la vie dure ».
Les flammes de l’incendie qui ravagent tout sur leurs passages en pleine transition, ont aussi charrié leur lot de soupçons. En cette période jugée fragile, les langues se délient et veulent y voir la main de partisans des régimes précédents. Avec cette série de drame donc,  quoi de normal que les rumeurs soient nombreuses.

Si les causes des incendies à l’origine de ces drames restent encore à déterminer, il ressort de façon récurrente que les incendies enregistrés semblent être le plus souvent causés par des courts-circuits, des explosions de bouteilles de gaz butane, des feux mal éteints, des branchements électriques anarchiques.

Que faire aujourd’hui pour éviter ces flammes qui consument tout sur leurs passages ?

Les incendies ont fait de nombreux dégâts matériels. Une triste réalité qui, à tous égards, devrait attirer l’attention de tous sur les causes des différents incendies mais surtout sur la nécessité de prendre des dispositions pour les éviter. En effet, face à ces incendies de plus en plus fréquents et meurtriers, chaque acteur devrait redoubler de vigilance et d’efforts pour arrêter leur répétition.

Ainsi le Ministère de l’Habitat de l’Urbanisme et de l’Aménagement du Territoire devrait imposer l’installation des alarmes incendie dans toutes les maisons. La Protection Civile devrait pour sa part sensibiliser davantage les populations à l’utilisation sécuritaire du gaz butane et de l’électricité et mieux équiper les pompiers civils en matériels adaptés pour faire face aux incendies. Elle devrait aussi vulgariser les formations sur la gestion sécuritaire des incendies.

Quant à l’EDG, elle devrait s’imposer de procéder régulièrement au contrôle des installations électriques, surtout dans les marchés et de rendre plus souples les conditions d’acquisition de compteurs électriques, afin de lutter contre les branchements anarchiques.

Et les populations pour leur part, gagneraient à éviter les branchements électriques anarchiques, à déposer les bougies allumées dans des récipients métalliques, à éteindre les bougies après usage et avant d’aller au lit, à s’assurer de la fermeture des bouteilles de gaz après chaque utilisation, à veiller au contrôle régulier des installations électriques dans les maisons et les commerces et à prévoir dans les maisons des issues de secours en cas d’incendie.

De nombreux incendies peuvent être évités en respectant simplement quelques règles. Un peu de bon sens fera beaucoup de bien. En outre, il est important d’être préparé en cas d’incendie. Un incendie est très dévastateur et émotionnellement drastique. Réagir rapidement et correctement est donc important.
Les attitudes suivantes sont à observer par les populations pour éviter la survenue de nouveaux drames : Vérifier régulièrement l’intégrité des bouteilles de gaz et des raccords pour s’assurer de l’absence de fuite de gaz avant l’utilisation des bouteilles de gaz; fermer hermétiquement les bouteilles de gaz après usage; mettre en place et entretenir régulièrement des extincteurs accessibles ; prévoir des issues de secours en cas d’incendie ;  aérer immédiatement les locaux en ouvrant portes et fenêtres en cas de déclenchement d’un incendie ; installer des disjoncteurs différentiels ; éviter les surcharges des prises et multiprises ; effectuer une vérification périodique et un entretien régulier des installations électriques. Car une petite étincelle négligée peut causer un vaste incen